lundi 7 novembre 2011

Article du RÉPUBLICAIN LORRAIN

Gandrange, Florange, Ulcos: la figure de proue de la CFDT, chez ArcelorMittal, crève l'écran depuis les dernières grandes batailles pour la survie de la sidérurgie. Il dit croire encore en des lendemains qui chantent.

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Alain Morvan (Le Républicain lorrain)

Furibard, il pousse la porte de cette pizzeria de Thionville remonté comme un coucou. «Marre de griller mon forfait pour un service client qui se moque du monde», peste Edouard Martin, en s'asseyant et en commandant «une blonde». Trois fois qu'il plante son iPhone 4S. À la clé, des centaines de contacts téléphoniques qui s'évanouissent en fumée. «Une mine d'or. Vingt ans d'engagement. J'espère que ça va s'arranger», souffle-t-il, un peu apaisé. Il est comme ça, le syndicaliste d'ArcelorMittal: une alternance de calme et de tempête, d'élans et d'introspections, de sang-froid et d'ébullition. «Il n'est pas espagnol pour rien», ironise doucement Marcel Thiel, compatriote cédétiste de Florange, qui le connaît bien pour avoir mené tant de combats, de Gandrange à Florange et au comité d'entreprise européen du géant de l'acier, Mittal. «On s'est souvent crêpé le chignon; tout le monde n'est pas capable comme lui d'aller à 200 km/h. C'est un passionné, un affectif avec ses bons et mauvais côtés. Je sais qu'il agace.»


Un monstre froid

C'est pourtant «sa gueule» qui attire l'attention au premier abord, comme le dit Michel Liebgott. Taille moyenne, cheveux courts poivre et sel, visage taillé à la serpe, de l'aisance dans le discours, une évidente télégénie. Façon Xavier Mathieu, charismatique leader CGT des Conti (Continental) devenu acteur. «Qualité des analyses, connaissance des dossiers mais aussi faculté à provoquer. Il sert toute une histoire commune, celle de la sidé lorraine», synthétise le député-maire de Fameck, Michel Liebgott, dont il a régulièrement l'oreille. «Qui est Mittal? Un monstre froid. Edouard? C'est le SOS au pied de la Vierge, au-dessus de Hayange», esquisse l'élu de la vallée.
L'enfant de Padul, près de Grenade, un sud de l'Espagne pauvrissime, déboule «en sandales dans la neige», en Lorraine, à la fin de l'hiver 1971. Rêve de trouver un job chez Citroën, mais tombe en extase devant les brames rouge-vif du laminoir à chaud où son père l'expédie parce que la priorité, c'est bosser. «Pourtant, je haïssais la vie de mon père, les 3-8, tout ça…», avoue celui qui tient l'héritage de la classe ouvrière.
Aiguillon et tête à gnons. Il assume. Tout. Les politiques qui se bousculent à Gandrange en 2008, comme à un guichet électoral automatique. «Gandrange, c'était Lourdes pour les croyants; fallait venir! Ségolène Royal, ça m'a permis de l'affranchir sur pas mal d'idées fausses. Faut pas oublier que les politiques nous ont apporté une visibilité médiatique. Mais on n'était pas dupe.» Ah, Sarkozy! Une autre histoire. Les fausses promesses des noces d'acier; le premier à être venu au chevet des sidérurgistes, les mensonges d'une razzia industrielle d'un président bling-bling aux poches vides, qui se cogne le nez dans un haut fourneau. «J'oublierai jamais cette phrase: "On ne vous laissera pas tomber; avec ou sans Mittal, l'État investira ici!" Il s'est bien foutu de nous…» Contradictoire. «Pendant son discours, ses proches conseillers devenaient blêmes. C'était un mois après avoir dit que les caisses étaient vides. Il a voulu se refaire une santé sur le dos des salariés de Gandrange.» À la fin de son discours, Nicolas Sarkozy a été ovationné. «Tellement de gens l'ont cru.» La politique, Edouard Martin y croit pourtant encore. Il plaide pour «une Europe plus forte». Prêche contre l'actuelle, vendue aux grands groupes, ultralibérale. Albert Leglois, camarade cégétiste, le tacle sans retenue: «Il brasse beaucoup de vent. Lors de la soupe populaire à Hayange, il a dit qu'il fallait donner des signes aux marchés financiers, alors qu'on est dans la merde à cause d'eux. Il rate pas une occase d'être contradictoire.»

À gauche, résolument. CFDT, tendance ligne dure. Mélenchon, en campagne en Lorraine, a été bluffé il y a une semaine: «Ici, le plus virulent, c'est pas le camarade de la CGT, dites donc!»

Il y a laissé des plumes dans le combat pied à pied, poing à poing. Dans sa vie personnelle aussi, faut-il comprendre entre les lignes. «La sidé continentale a de l'avenir», professe Edouard, revenu à son obsession. Le lecteur de Balzac a néanmoins conscience des limites de sa propre comédie humaine. Il cite Coluche: «Comme pour les Restos du cœur, j'aspire à ce qu'on n'ait plus besoin de moi; ça voudra dire qu'on a gagné.» Les affaires reprennent, son smartphone se réveille. Le combat continue..