mardi 17 janvier 2012

Gandrange, "caillou dans la chaussure" de Nicolas Sarkozy

LEMONDE.FR | 17.01.12 | 11h41 • Mis à jour le 17.01.12 | 14h51


Nicolas Sarkozy sur le site de Gandrange, le 4 février 2008.AP/CEDRIC JOUBERT



Dans le dense programme de sa campagne pour la présidentielle, le candidat socialiste François Hollande n'a pas manqué de ménager une place pour une visite de l'aciérie de Gandrange, en Moselle, ce mardi 17 janvier. Le symbole était trop beau. "Le pèlerinage est à double détente", résumait, le 11 janvier, Le Républicain lorrain, qui rappelait que d'autres politiques, comme Ségolène Royal ou Christine Boutin, s'étaient rendus sur place et indiquait que Jean-Luc Mélenchon viendrait peut-être, lui aussi, dans la semaine. Aller à Gandrange permet à la fois de "dénoncer la désindustrialisation" et de "valider son certificat d'antisarkozysme", selon le quotidien.
L'aciérie n'est pourtant plus qu'une immense carcasse métallique désaffectée. Mais depuis sa fermeture, le 31 mars 2009, le site est devenu une sorte de "caillou dans la chaussure de Nicolas Sarkozy", comme aime le formuler un syndicaliste d'ArcelorMittal, un symbole des promesses non tenues du président de la République. "Gandrange, c'est, avec la réunion du Fouquet's, l'une des fautes originelles du quinquennat", estime à l'AFP Michel Liebgott, député (PS) de la Moselle et président du groupe d'études sur la sidérurgie à l'Assemblée nationale. "C'est à Gandrange que le président de la République s'est renié en ne tenant pas les promesses faites aux ouvriers", ajoute-t-il.

LA PROMESSE D'UNE AIDE

Tout commence il y a quatre ans quand, le 16 janvier 2008, la direction du groupe propriétaire, numéro un mondial de la sidérurgie, annonce un "projet de réorganisation" de son gigantesque site de Gandrange, prévoyant la suppression de 595 emplois sur 1 029, l'arrêt de l'aciérie et du "train à billettes", et le maintien en activité du seul laminoir. Pour la direction, les pertes enregistrées par le site, l'année précédente, évaluées à 36 millions d'euros, rendent ces mesures nécessaires. Les syndicats estiment, eux, que l'entreprise est viable, pour peu qu'on y réinvestisse un peu d'argent. Ils reçoivent le soutien des deux députés socialistes, Michel Liebgott et Aurélie Filippetti, pour demander un moratoire sur les annonces.

Deux semaines plus tard, Nicolas Sarkozy se rend sur le site. Les élus locaux, de gauche comme de droite, n'ont pas été conviés. Ce 4 février, sur une estrade dressée au cœur de la cathédrale d'acier et devant des centaines d'ouvriers qui craignent pour leur emploi dans une région sinistrée, le président de la République fait un discours offensif à l'égard du PDG du groupe, Lakshmi Mittal, et promet une aide des pouvoirs publics pour assurer la pérennité du site.

"Soit avec Mittal comme propriétaire, soit avec un autre propriétaire éventuel, l'Etat préfère investir pour moderniser le site plutôt que payer de l'argent pour accompagner des gens soit en préretraite, soit au chômage , lance-t-il aux ouvriers séduits. Ce qui se joue, ça va au-delà de l'acier, au-delà de la Lorraine. Ce qui se joue, c'est la présence d'usines sur le territoire de notre pays."



Sarko soutient Gandrange par Ptite_Mule

Le chef de l'Etat concluait son discours, dans un sourire, par une petite phrase complice prompte à charmer les sidérurgistes, deux jours après son mariage avec Carla Bruni : "Et puis, pour finir, je voudrais quand même ajouter que Gandrange pour un voyage de noces, y' a pas mieux !" "Je reviendrai moi-même (...) pour annoncer la solution qu'on aura trouvée", avait-il ajouté sous les applaudissements de 400 ouvriers.

Le Monde du 6 février 2008 faisait réagir deux syndicalistes : Pierre Sutter, de la CGC, se demandait si la collectivité pouvait intervenir "dans une entreprise rattachée à un grand groupe international qui fait des bénéfices". Edouard Martin, de la CFDT, s'interrogeait : "Est-ce le rôle de l'Etat ? Les règles européennes autorisent-elles une telle intervention ?"

"JE N'AI PAS RÉUSSI"

Ils avaient raison de douter. Car, deux mois plus tard, le 7 avril, Nicolas Sarkozy était contraint de revenir sur ses promesses : "Je n'ai pas réussi à faire changer d'avis M. Mittal...", confiait-il aux représentants syndicaux de l'usine en les accueillant à l'Elysée. "Mais je ne me présente pas devant vous les mains vides", poursuivait le président de la République, avant de présenter quelques "pistes d'avenir pour l'industrie en Lorraine ".

Il évoquait notamment un investissement de 30 millions d'euros dans le secteur de Gandrange, la création d'un centre de formation en alternance, la possible construction de deux centrales électriques Poweo à Gandrange et à Florange, la ville voisine, où ArcelorMittal s'engageait par ailleurs à maintenir les hauts fourneaux en activité au delà de 2012. Mais ce dernier engagement restait conditionné à "la conjoncture économique" et à "l'obtention de certificats d'émission" de CO2.

Sur les 595 postes supprimés, 400 salariés seraient reclassés sur les sites d'ArcelorMittal à Florange et au Luxembourg, et le dernier tiers serait constitué de ces fameux départs en préretraite que voulait éviter Nicolas Sarkozy deux mois plus tôt. Pour la seconde fois, le président promettait de revenir à Gandrange "dans deux mois" pour "graver ses engagements dans le marbre" avec Lakshmi Mittal.

STÈLE AUX PROMESSES NON TENUES

Un an après son voyage à Gandrange, le chef de l'Etat n'était pourtant toujours pas revenu. Et trois sénateurs socialistes de la Moselle, Jean-Pierre Masseret, Gisèle Printz et Jean-Marc Todeschini, adressaient à M. Sarkozy une lettre où ils signalaient que les engagements d'ArcelorMittal " semblent (...) prendre l'eau de toutes parts". Ainsi, la construction d'une ou deux centrales électriques, en partenariat avec Poweo, n'avait par exemple quasiment plus de chance d'aboutir. Les sénateurs dénonçaient également le sort des entreprises sous-traitantes, totalement mises de côté.

Le 4 février 2009, la CFDT ArcelorMittal conviait les médias devant Gandrange pour assister à un drôle d'événement : l'inauguration d'une stèle de granit gris, "en hommage" aux promesses non tenues du président de la République : "Ici reposent les promesses de Nicolas Sarkozy faites le 4 février 2008 : 'Avec ou sans Mittal, l'Etat investira dans Gandrange'" (la stèle a été volée début janvier 2012).


Gandrange aniversaire promesses de Sarkozy par inet

Une semaine plus tard, ArcelorMittal annonçait un arrêt provisoire du site de Florange, où plus d'un tiers des salariés de Gandrange étaient en cours de reclassement. Un millier de salariés allaient subir des mesures de chômage partiel.

Nicolas Sarkozy finira par revenir à Gandrange, le 15 octobre 2009, pour une visite organisée dans le plus grand secret, sans comité d'accueil des ouvriers ni presse nationale.

Le 3 octobre 2011, ArcelorMittal annonçait la fermeture, pour une durée indéterminée, du deuxième haut fourneau de son site de Florange, le dernier du groupe encore en activité en Lorraine, une "mise en veille conjoncturelle, temporaire et provisoire", selon le directeur du site. Le 5 janvier 2012, le préfet de la région Lorraine a annoncé que 2 500 salariés de l'usine de Florange seraient mis au chômage partiel jusqu'en mars.

DE MITTERRAND À MARINE LE PEN


Nicolas Sarkozy n'est pas le premier à être venu promettre du travail et de l'espoir aux sidérurgistes lorrains. Le 13 octobre 1981, François Mitterrand avait choisi Longwy, haut lieu de la sidérurgie lorraine, à 50 km de Gandrange, pour sa première visite en province après son élection. "Je voulais être à l'écoute de notre peuple, des travailleurs (...). J'ai pu mesurer quelles étaient les difficultés et les chances de la France, et où pouvais-je mieux m'en rendre compte qu'en Lorraine, dans cette région dont je retiens qu'elle représente à la fois un symbole et un espoir pour le pays. Oui le symbole, c'est Longwy, c'est toute la Lorraine durement frappée par la crise, victime d'une politique d'abandon ou de laisser-faire", lançait le président socialiste à l'hôtel de ville de Longwy.

"A ceux qui étaient au premier rang des victimes d'une société injuste, je suis venu dire ici qu'ils doivent être maintenant au premier rang dans la reconstruction de notre économie. Cette reconstruction, elle se fera avec eux et pour eux, avec vous et pour vous", ajoutait-il. En juin 1982, le plan Mauroy annonce 12 000 suppressions d'emplois dans la sidérurgie. En 1984, les ouvriers de Longwy manifestent au cri de "Mitterrand trahison".

Deux ans après les promesses de Nicolas Sarkozy, trente ans après celles de François Mitterrand, les élections régionales de 2010 montraient une forte poussée de l'abstention (la ville de Farébersviller détenant le record de France, avec 79,84 % d'abstention) et du Front national, les scores du FN dépassant parfois largement la performance de Marine Le Pen dans son fief du Nord - Pas-de-Calais.

Rien d'étonnant à ce que la candidate du parti ait choisi, le 11 décembre 2011, la ville voisine de Metz pour tenir le premier grand meeting de sa campagne. Evoquant Gandrange, ce "symbole des promesses trahies" et "des mensonges éhontés", elle a fait, à son tour, une promesse, celle de "réindustrialiser" la France grâce au protectionnisme et à la loi "Achetons français" qu'elle défend depuis plusieurs mois.

>> Lire le reportage sur la montée de l'électorat FN dans la vallée de Gandrange publié en décembre : "Le FN dans la vallée"

Aline Leclerc

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