lundi 24 décembre 2012

Arcelor, l'affaire Florange et le syndrome de la " sale boite"


Le conflit de Florange est exemplaire des dégâts qu'une société peut infliger à sa propre image. Un paradoxe au moment où la responsabilité sociale des entreprises les conduit à déployer de gros moyens pour soigner leur réputation. Gilles Le Gendre et François Potiers sont membres des Company Doctors, réseau de consultants en entreprise.

Crédits photo : shutterstock.com
















Le conflit provoqué par l'arrêt des hauts-fourneaux de Florange est un cas d'école de la gestion désastreuse de sa réputation par une entreprise . En principe,un accord garantissant le maintien de l'emploi aurait dû y mettre fin. Mais si l'incendie n'a pu être éteint,c'est parce que Lakshmi Mittal a démontré un talent impressionnant pour épuiser le maigre crédit qui était le sien quand son groupe a racheté le sidérurgiste français Arcelor en 2006. D'où le troublant succès,y compris à droite,de l'idée désuète d'une nationalisation sanction.

Le passif personnel de l'industriel est à l'aune de l'état de ses finances : promesses bafouées ,distance avec ses équipes, dédain pour les médias et l'opinion . Il est stupéfiant qu'en six ans le géant de l'acier ait été incapable d'installer un dirigeant digne de ce nom,entièrement dédié à la filiale française et capable de l'incarner aux yeux des salariés et face aux pouvoirs publics !

Une mauvaise réputation repousse candidats et clients

ArcelorMittal risque de croupir longtemps dans le cachot des « sales boîtes » . Ce concept est tout sauf objectif,mais il parle clairement aux salariés de ces entreprises,à ceux qui hésitent à s'y porter candidats,aux chasseurs de têtes et parfois même aux clients. La problématique des risques psychosociaux a largement contribué à l'installer,France Télécom et d'autres en savent quelque chose. Ce triste label ne sanctionne pas seulement les pratiques effarantes,comme le harcèlement ou des organisations du travail pathogènes. Même des stars peuvent être mises en examen devant le tribunal de la réputation. Il a suffi qu'un conflit salarial somme toute banal assombrisse la sortie de l'iPhone 5 pour qu'Apple soit critiqué pour son modèle économique et social qui choie le consommateur branché mais qui organiserait la fuite des emplois depuis les Etats-Unis et se montrerait fort peu respectueux du travailleur chinois.

La séparation du bon grain de l'ivraie,permettant de dépasser cette approche exagérément affective et circonstancielle,n'est pas aisée. Mais elle progresse. Les vieux classements qui recensent « les entreprises préférées des Français » ou « les entreprises préférées des étudiants » sont inopérants,car ils accordent une prime exorbitante à la notoriété aux dépens de la réalité du climat social. Le palmarès du Great Place to Work Institute qui sonde 350 entreprises dans 45 pays ,est plus intéressant. En 2012,un seul Français y figure parmi les 25 lauréats : le groupe Accor,dont la politique sociale ambitieuse ne lui permettait pourtant pas d'apparaître dans les classements précités.

Comment surveiller sa marque-employeur ?

Sur un terrain d'enquête plus vaste,et donc plus flou,l'agence de notation sociale et environnementale Vigeo accorde la prime de « l'entreprise la plus responsable » en France à L'Oréal : les salariés du leader mondial des cosmétiques jureraient-ils pour autant qu'ils travaillent dans une « bonne boîte » ?

La responsabilité sociale des entreprises (RSE) les conduit à déployer des moyens considérables pour soigner leur réputation et surtout la surveiller,tâche accaparante à l'heure des réseaux sociaux. Mais l'image auprès des salariés (dedans ou dehors),ce qu'on appelle la fameuse « marque employeur »,repose sur des éléments immatériels qui vont plus loin que les conditions de travail ou de rémunération,quand le mouvement des périmètres,des organisations,des stratégies et des dirigeants brouille le sens,durcit les relations et accentue le stress.

Parmi ces ingrédients,figurent la capacité à créer une confiance durable (qui se nourrit du respect et de l'exemplarité),la fierté du métier (à laquelle peuvent se raccrocher ceux qui l'exercent quand leurs repères vacillent) et la proximité entre les managers et leurs collaborateurs (pour amortir les effets dévastateurs des logiques globalisantes). Il n'y a malheureusement dans ce domaine aucune certitude,mais les entreprises qui réussissent l'exploit de satisfaire tous ces critères ont,peut-être,une chance d'échapper au syndrome de la « sale boîte ».

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