mardi 17 avril 2012

ArcelorMittal: Lettre de Brigitte BLANG lue par Edouard MARTIN



Tout a débuté en septembre, lorsqu’on a appris que chez ArcelorMittal, ça commençait un peu à sentir le roussi.
On allait mettre deux hauts-fourneaux en sommeil, chômage technique, parait-il…
Sauf que les ouvriers de par là-bas, ils ne l’entendaient pas de cette oreille et qu’ils ont décidé de ne pas se laisser faire. Ils avaient tous encore en mémoire leurs copains de juste à côté, à Gandrange, qu’on avait roulés dans la farine à coup de promesses mirobolantes, pour finir par fermer le site, en envoyant à la casse des familles entières.
Alors à Florange, sur le site, toute une population de métallos s’est mise à résister, avec derrière eux leurs enfants, leurs amis, et tous ceux qui se sentent un peu concernés par l’humain, et la lutte sociale.
On était là, dès le premier jour, et on ne les a plus jamais quittés.
Le combat s’est accéléré, lorsque l’intersyndicale a décidé de s’installer dans les Grands Bureaux de la direction. Pas de violence, pas de casse, pas de dégâts. Juste la colère de ceux à qui on va prendre une partie de leur vie. Ils ne se battent pas pour des primes. Ils veulent rester ici, dans leur vallée, là où ils ont toujours travaillé.flo--70-.JPG
De jour en jour, les actions se sont intensifiées. On était toujours là ! Lorsque les voies du TGV ont été bloquées, et que les premiers uniformes ont fait leur apparition. Lorsque les palettes ont brûlé devant le portier. Lorsque des chaines ont cadenassé des grilles.
Et puis, une grande manifestation européenne a été décidée. Ce serait le 22 mars. Et il faudrait bien qu’on les entende !
Des bus sont arrivés d’un peu partout, Dunkerque, Fos, Montataire, de Belgique, et aussi du Luxembourg tout proche. La place de la mairie est noire de monde. Les élus et leurs écharpes, les ouvriers et leur bleu de chauffe, et pour tout le monde, un tee-shirt aux couleurs de l’aciérie.
2500 résistants, plus déterminés que jamais, des lutteurs de haut vol, de ceux à qui on ne racontera pas d’histoires, cette fois.
La grande salle de la mairie est pleine à craquer quand Pierre Laurent et Martine Billard prennent la parole, pour assurer les syndicats de leur total soutien. En cortège dense, on rejoint la grille des Grands Bureaux, pour exiger le redémarrage des hauts-fourneaux, et de l’étamage.
Devant l’usine (leur usine…) les uniformes attendent. Personne ne passera. Encore une fois, la dignité des travailleurs le dispute à l’arrogance de la direction. Les emplois sacrifiés, les vies saccagées, monsieur Mittal n’en a cure. Seul compte le profit. Le court terme, les dollars qui tintent au tiroir-caisse. Une politique industrielle qui a oublié que les usines tournent grâce aux hommes. Une politique insupportable. Les réactions en chaine ne se feront pas attendre. L’arrêt d’une filière menacera inexorablement toute la carte industrielle de la région, et bien au-delà. Les fournisseurs, les  sous-traitants, les commerçants de la vallée, les enseignants, tous sont concernés.
Ce n’est qu’après que la grande marche a été décidée. Ils sont partis à 17 ce 28 mars. 17 décidés. 17 déterminés. Ils se sont promis de rejoindre Paris. Voilà des garçons, des hommes, qui n’ont pas vraiment le temps de beaucoup s’entrainer à la randonnée dans leur vie de tous les jours. Les voilà partis, le courage rivé à l’âme, pour montrer à tout le pays que « Si on veut, on peut ! » Les voilà sur la route, sous une chaleur bien peu de saison. Les voilà salués par les Français de partout. Les voilà avec leurs pieds en sang et leurs larmes aussi. 17 camarades, solidaires et opiniâtres. Nous les avons accompagnés tout au long de la troisième étape. Celle qui partait de Verdun. Un clin d’œil en passant ! Non, monsieur Mittal, vous ne passerez pas en force sur nos emplois et notre avenir ! Tout au long de la journée, ils nous ont parlé de leurs espoirs, de leurs enfants, de leurs compagnes restées en Lorraine pour faire vivre la maison. Ils nous ont donné une très grande leçon de vie. Et nous n’étions plus vraiment les mêmes en rentrant le soir._DSC61444061.JPG
Et puis, le 6 avril est arrivé. Et leur pari était gagné ! Cette étape-là aussi, nous sommes allés la faire avec eux. On est arrivés ! On est arrivés ! Sur l’air de « On est les champions ! » Sauf que les vrais champions, ce sont eux… Dans certains quartiers, ça leur faisait tout bizarre, aux gens, de voir des ouvriers en vrai ! Et lorsqu’au bout du boulevard, la Tour Eiffel s’est profilée, vieille dame fabriquée avec l’acier lorrain, leur acier, on a bien vu les regards s’embuer et le pas se faire plus volontaire encore. Ensuite ? Oh, pas grand-chose. Un concert de soutien. Lavilliers, Porte et Zebda. Inévitables ici comme à Florange. Et le lendemain, le retour. Vers leurs enfants, leurs amis, leur maison. Vers leur usine aussi. Où rien n’avait bougé.
Depuis ? Toujours rien n’a bougé. Leurs emplois sont toujours sur la corde raide. Le chômage technique continue. Dans la vallée de la Fensch, le message est bien passé. Même les usines ne fument plus… Malgré une bande de résistants à l’ancienne, de ceux qui se battent pour garder leur boulot, pas pour une prime. Ils voudraient seulement travailler encore, travailler encore, forger l’acier rouge, avec leurs mains d’or… 
 brigitte blang    

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire