jeudi 24 mai 2012

Le Japon apprend à vivre sans électricité

Depuis le 5 mai dernier, tous les réacteurs nucléaires japonais sont à l'arrêt. Le nucléaire, avant Fukushima, c'était 25% de l'électricité au Japon. Alors comment faire pour compenser ces pertes ?

Tokyo, quartier de Shibuya. Des néons qui scintillent, des écrans géants qui diffusent en permanence des clips vidéos : à première vue, le Japon a retrouvé son insouciance d’avant le 11 mars 2011. Mais il ne faut pas se fier aux apparences. Derrière tout ce clinquant, l’archipel a désormais adopté un maitre mot : économie.
A commencer par les administrations et les bâtiments publics, ainsi que les entreprises. Dans les bureaux, seul un éclairage sur deux fonctionne. Patrons et employés se sont concertés pour adapter leurs horaires le plus efficacement possible. Le groupe Sato, l'un des numéros un de lecteurs de code barre dans le monde, a ainsi repensé complètement l'emploi du temps de son personnel. "La notion d’économie a pris racine dans la conscience de chacun de nous, explique le directeur du département qualité, Kiyonori Tokunaga. Ce que nous faisons, c’est que nous éteignons les lumières inutiles. Et nos salariés travaillent le matin plutôt que le soir. Ils font volontiers cet effort." Des efforts qui payent : chez Sato, on a réduit de 20% laconsommation électrique, bien plus que les 15% demandés par le gouvernement.
Les soutiens-gorge à la rescousse
80% des Japonais se disent désormais opposés au nucléaire. Et tant pis si cela veut dire moins d’électricité. Les efforts réalisés à l’échelle de tout le Japon ont permis d'éviter à l’archipel le blackout qu’il redoutait tant. Un succès qui tient en partie à la politique du "warm bizz", adoptée cet hiver : en acceptant de limiter le chauffage à 18°C dans les maisons, les Japonais sont parvenus à compenser en partie le manque. Un succès encourageant, selon Kenichi Oshima, professeur à l'université de Ritsumeikan : "on a réussi à compenser la moitié de la perte d’énergie rien qu’en faisant des économies. Si la société japonaise fait les efforts nécessaires pour continuer à économiser l’électricité, alors il n’y aura pas de problèmes."
Mais avec l'été qui arrive, la peur d'une pénurie refait surface. Heureusement, le "cool bizz" est là. Comme pour le "warm bizz", les climatisations sont à l'arrêt. Température moyenne recommandée à l'intérieur : 28°C... C'est chaud, mais les Japonais ont de la ressource. Les ventes de produits rafraîchissants se multiplient déjà. Les gadgets les plus insolites font leur apparition, comme le "Bra Super Cool', un soutien-gorge qui garantit à la personne qui le porte des heures de fraîcheur, en digne successeur de la veste climatisée, gros succès de l'an dernier.
Une vie non-électrique
Et certains Japonais vont encore plus loin. Au bord d’un petit lac du centre de l’archipel se niche un atelier pas comme les autres : l’atelier non électrique du professeur Fujimura. Sous des airs bienveillants de grand-père échappé d’un dessin animé de Miyazaki, le professeur Fujimura cache une âme de Géo Trouvetou. Son obsession : apprendre à se passer de l’électricité au quotidien. Dans son atelier, les trésors s'empilent : un torréfacteur de café, un déshumidificateur, un frigo... Tous ont un point commun : ils fonctionnent absolument sans électricité.
Le professeur Fujimura et son frigo non-électrique
Les inventions du professeur tiennent beaucoup des trucs de grand-mère - le frigo, par exemple, ressemble fort à une boîte isotherme qu'on met à l'extérieur, Mais c’est précisément cela que revendique l’inventeur. Il tente de créer une meilleure vie pour les Japonais, en leur montrant qu’ils n’ont pas besoin de gadgets électriques pour trouver le bonheur. "Après l’accident de Fukushima, beaucoup de gens se sont rendus compte qu’être trop dépendant de l’électricité, c’était très dangereux, instable, explique le professeur Fujimura. Beaucoup de monde s’est ainsi intéressé au non électrique, à tout ce qui permet de ne pas utiliser trop d’électricité."
La solution onsen
Mais même avec la meilleure volonté du monde, se passer d’électricité n’est pas toujours évident pour l’économie d’un pays. Et dans un Japon en crise, il faut penser à l’avenir. Un avenir qui pourrait peut-être puiser son énergie au plus profond de l’archipel. Car c'est en sous-sol que le Japon possède l'une de ses plus grandes richesses : les sources d'eau chaude volcaniques. On vient de très loin pour profiter des onsen, les bains installés sur ces sources, qui font partie intégrante de la culture nipponne. Mais les sources d'eau chaude peuvent aussi fournir de l'électricité, grâce aux centrales géothermiques.
A Kirishima, sur l'île de Kyushu, les onsen sont légion. Mais le plus vieil hôtel de la ville a une particularité : il possède sa propre centrale géothermique, qui lui fournit plus de 20% de son électricité.
La centrale géothermique de Kirishima
Une idée qui inquiète le lobby des onsen : celui-ci craint en effet que le développement de la géothermie ne détruise les sources d'au chaude. Une crainte infondée, selon le conseiller technique de la centrale de Kirishima, Saburo Okubo :"La chaleur émise par la terre, c’est quelque chose de précieux. C’est une ressource inépuisable, car la terre est vivante. Si on peut utiliser l’énergie produite par l’explosion des volcans, elle sera infinie. On pourrait avoir l’équivalent de 20 centrales nucléaires grâce à l’énergie géothermique du Japon, remplacer 20 centrales nucléaires de 1 millions de kilowatts."
Continuer les économies
Le Japon possède les troisièmes ressources géothermique du monde, mais est en retard sur le développement de la technique. Depuis l'accident de Fukushima, les opposants à la technique se sont cependant faits plus discret, et la géothermie est devenue une piste sérieuse pour l’avenir énergétique du pays. La préfecture deFukushima envisage même très sérieusement de se doter de sa propre centrale géothermique.
Mais ce type de centrale coûte cher, et il faut au moins dix ans pour les construire. Alors, en attendant la mise en œuvre de cette énergie, ou d’autres alternatives comme le solaire, l’éolien ou le gaz hybride, les Japonais devront encore se satisfaire de leur nouvelle vie à électricité réduite.


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