mercredi 6 juin 2012

Hauts-fourneaux et basses-cours s’invitent dans la campagne

LÉGISLATIVES A Florange et à Carhaix, les candidats doivent composer avec l’arrêt du site ArcelorMittal et le redressement de Doux.

Ce matin, à l’Elysée, François Hollande, accompagné d’Arnaud Montebourg, son ministre du Redressement productif, reçoit les syndicats du site ArcelorMittal de Florange. Est-ce le signal que le nouveau président de la République est décidé à s’impliquer personnellement dans le suivi des dossiers industriels, et notamment les plus médiatisés ? Y aurait-il finalement un Nicolas Sarkozy caché derrière François Hollande ?
«Bien sûr que non, répond un proche conseiller. Cette rencontre est exceptionnelle. La raison est simple : François Hollande en avait fait la promesse aux syndicats de Florange pendant la campagne. Il respecte son engagement, c’est tout.» Donc, à écouter l’entourage de Hollande, cette réunion ne présage absolument pas d’une méthode de gouvernement. Ce serait même tout le contraire (lire pages 12-13).D’ailleurs, prévient l’Elysée, cette rencontre ne sera suivie d’aucune annonce particulière.
«Le dossier est géré par Arnaud Montebourg. Et ça continuera demain», poursuit un conseiller à l’Elysée. Le gouvernement assure avoir pris la mesure du problème de cette avalanche de plans sociaux en mettant en place une cellule de crise et de suivi à Bercy. Par ailleurs, Arnaud Montebourg travaille d’ores et déjà à deux projets de loi : une limitation des licenciements abusifs et l’obligation pour un groupe de proposer à la vente un site de production quand il envisage de le fermer. Mais, à une semaine du premier tour des législatives, les menaces sur Florange et le groupe Doux n’ont pas attendu les projets législatifs de Montebourg pour faire des vagues politiques.

A Florange, «c’est vraiment applicable, le truc de Hollande ?»

«Mon programme est axé sur la défense des ouvriers d’ArcelorMittal»: Fabien Engelmann, le jeune candidat du Front national, fait campagne dans une des deux boulangeries de Nilvange, en Moselle. Derrière les pains et les viennoiseries, Isabelle, la cinquantaine, n’est pas fixée sur son vote. Elle habite en face de l’usine de Florange et compte bien se décider en fonction de «ce que disent les candidats sur la sidérurgie».Tant pis si le tract du FN ne mentionne pas le sort des ouvriers du site, préférant faire campagne sur «la viande halal et l’islamisation» plutôt que sur la sidérurgie. Le candidat frontiste espère bien profiter de la vague Marine pour aller titiller Michel Liebgott, le député socialiste sortant, au deuxième tour.
Dans la 8e circonscription de Moselle, Marine Le Pen a réalisé plus de 24% des voix, derrière Hollande, arrivé en tête avec 30,7%. En dépit de ses 33 ans, Fabien Engelmann jouit d’une petite notoriété. Passé par le trotskisme, cet ouvrier municipal a notamment fait parler de lui grâce à son éviction de la CGT en avril 2011, alors qu’il était candidat FN aux cantonales. Une «injuste victime» syndicale, selon le FN, qui en a fait ses choux gras. Reconnaissant, Engelmann n’hésite pas à qualifier Marine Le Pen de «nouvelle Jean Jaurès des temps modernes».
Ce samedi après-midi, le candidat frontiste a prévu une séance de tractage dans les boîtes aux lettres à Nilvange avec plusieurs militants, sans oublier de passer une tête chez des commerçants bienveillants. Un salon de coiffure dans lequel cinq femmes, la soixantaine, lui donnent du «tu passeras le bonjour à ta maman». Une porte plus loin :«Ah, là, c’est le médecin de ma grand-mère, il vote pour moi.» Dans un café attenant, la patronne paie son coup aux trois militants FN, défend la préférence nationale et trouve qu’«eux», les immigrés, sont trop nombreux, trop aidés et surtout qu’ils ne travaillent pas. Le travail, c’est le nœud gordien de cette circonscription qui voit mourir son usine ArcelorMittal de Florange depuis des mois.
Le dernier haut-fourneau s’est éteint en octobre et le groupe vient d’annoncer que son arrêt était prolongé de six mois. Avec la menace de la fermeture de l’hôpital d’Hayange, c’est le dossier qui préoccupe toute la vallée de la Fensch. Entre les ouvriers de l’usine, les intérimaires et les sous-traitants, l’avenir du site concerne une dizaine de milliers de familles pour une population de 125 000 personnes.
«Ah, non, nous, on n’a pas dit qu’on allait sur le marché de Fameck, on a dit aux alentours du marché. Sinon, on va encore se faire insulter», explique Fabien Engelmann. Le marché «assez bigarré», selon les mots du député-maire de Fameck, Michel Liebgott, semble effectivement acquis à la cause du candidat PS, sûr d’être réélu. Mais ses électeurs, fatalistes, ne croient plus aux lendemains qui chantent. En dehors des militants socialistes, ils sont rares ceux qui pensent que la proposition antidémantèlement de François Hollande peut sauver ArcelorMittal de la fermeture. En février, le candidat PS avait défendu à Florange une proposition de loi visant à obliger les groupes à céder leurs unités de production à un repreneur plutôt que de laisser des machines dépérir. Bref, une loi anti-Gandrange, symbole de l’échec de Sarkozy. Même le candidat frontiste se dit «prêt à voter cette loi» s’il est élu, lui préférant tout de même «une nationalisation temporaire».«Mais c’est vraiment applicable, le truc de Hollande ?» se demande Tino, 50 ans. «Et on fait comment avec les Polonais qui viennent travailler pour trois fois moins, envoyés par des groupes français installés là-bas ?» Fatma aussi est sceptique : «Ça marche contre les délocalisations ?» En 2010, elle travaillait à Woippy pour FM Logistic, qui fabriquait des imprimantes, lorsque HP a décidé de délocaliser le travail en Malaisie. Elle a été licenciée à 56 ans et n’a plus travaillé depuis.

A Carhaix, «c’est une sacrée page qui se tourne»

Dans la 6e circonscription du Finistère, qui va de Carhaix à la presqu’île de Crozon en passant par Châteaulin, siège du groupe Doux, les difficultés financières du volailler, placé en redressement judiciaire vendredi, ne devraient pas trop bousculer les rapports de force entre droite et gauche. Avec 59,26% des voix au second tour de la présidentielle, cette dernière a bon espoir de gagner la bataille. L’avenir du géant de la volaille, qui représente 2 700 emplois dans l’Ouest, n’en a pas moins éclipsé les autres sujets. A l’image de la une duTélégramme qui circulait samedi dans les allées du marché de Carhaix : «Groupe Doux : et maintenant ?» C’est la question que tout le monde se pose. «C’est un traumatisme énorme, on sent beaucoup d’émotion», souligne Matthieu Guillemot, porte-parole du candidat du NPA, tout en distribuant ses tracts et en réclamant «la restitution des subventions». Pour lui, «ça va être l’occasion de voir s’il y a une différence entre gestion de droite et gestion de gauche». Jean-Pierre Jeudy, ancien maire communiste de la ville et aujourd’hui militant du Front de gauche, s’interroge de son côté sur les raisons d’une telle déconfiture. «Maintenant, il va falloir se demander comment on en est arrivé là», observe-t-il, pointant des «délocalisations au Brésil» sur lesquelles Doux a «tout misé».
Derrière son comptoir d’œufs, Philippe, 49 ans, ancien routier reconverti dans l’élevage et l’abattage de volailles bio, a son idée : «Il y a eu un gros problème de gestion, estime-t-il. On a confondu chiffre d’affaires et bénéfices. Mais si Doux ferme, ça va faire de gros dégâts, dans les usines, mais aussi chez tous ceux qui travaillent pour eux, les éleveurs, les fabricants d’aliments… Tout va se casser la figure.»
Le sujet est sensible à Carhaix. La circonscription est située entre Châteaulin, où l’usine Doux emploie 700 personnes, et Plouray, où un site d’abattage du groupe compte 130 salariés. L’élevage de volailles y a longtemps été l’une des principales ressources. «C’est ici, dans les années 50, qu’est née l’aviculture française, rappelle Christian Troadec, maire de Carhaix et candidat divers gauche aux législatives. Il y avait partout des petits poulaillers où les industriels venaient s’approvisionner. C’est une sacrée page qui se tourne.» Venu serrer des mains entre un stand de charcuterie et les étals de fruits et légumes, l’édile était vendredi à Châteaulin, où il a rencontré les employés, «inquiets pour leurs salaires», et la direction. «Quand je me suis trouvé dans le grand bureau de Briec Bounoure [un des dirigeants historiques de Doux, ndlr], en face de quelqu’un qui voit tout s’écrouler, ça fiche un drôle de sentiment», raconte-t-il. Mais le concurrent direct de Richard Ferrand, le candidat PS, n’a pas été surpris par les déboires du volailler. «Il y avait des problèmes de règlement des éleveurs depuis plusieurs années. Et, ces derniers temps, des ruptures d’approvisionnement des élevages en aliments,indique-t-il. Tout le monde savait que c’était fragile et il aurait fallu les aider au moment opportun.»
Sur le marché de Carhaix, certains voient aussi dans la sortie de route du volailler «la fin d’un système productiviste» à bout de souffle. «Il faut arrêter de tuer les sols et de prendre les animaux pour des machines, lance Caroline, productrice de fromages. Quand on entre dans un poulailler, mieux vaut ne pas regarder au fond, ça donne le mal de mer ! Espérons que le gouvernement mettra en place des choses pour produire différemment, plus propre et en équilibre avec la nature.»
Samedi, Marie-Anne Haas, chef d’entreprise et candidate du Front national, était aussi dans les allées du marché de Carhaix. Avec un seul message concernant Doux : «On peut sauver l’outil, mais il y aura des licenciements.»

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