dimanche 9 décembre 2012

A Florange, «fatigué d’entendre tout et son contraire»

Dans la vallée de la Fensch, la lassitude gagne salariés et habitants, sans illusions sur les engagements d’ArcelorMittal et du gouvernement.

Après une folle semaine, les métallos de Florange sont fatigués. Il y a d’abord eu l’espoir. Puis la «trahison» du gouvernement, qui a avalisé la fermeture des hauts fourneaux et le report du projet Ulcos, qui devait redonner vie à l’un d’entre eux. L’occupation, jeudi, des deux cheminées de métal. Puis une simple réunion, vendredi, de l’intersyndicale et un point presse expédié en quelques minutes.

Edouard Martin, le charismatique leader de la CFDT, s’avance devant les caméras. Ses camarades orange-fluo restent assis, au fond du local syndical. Les traits sont tirés. Martin n’a plus les larmes aux yeux. N’évoque plus la «trahison». Il prend simplement «acte» de la déclaration, la veille, de François Hollande. «Je n’imagine pas une seconde que le Président soit monté au créneau devant tous les Français pour nous flouer une semaine après.» Et de réclamer «que les engagements soient musclés» avec «une feuille de route sur Ulcos et le redémarrage des hauts fourneaux».

Trêve. La suite attendra la rencontre prévue, la semaine prochaine, avec François Marzorati, sous-préfet de Thionville, chargé de piloter le comité de suivi des investissements promis par ArcelorMittal.«En fonction des réponses, nous déciderons de la suite à donner, prévient le syndicaliste. Personne ne décidera pour nous, sans nous. Nous avons nous aussi notre cellule de crise, avec trente militants, prêts sept jours sur sept, 24 heures sur 24, à prendre possession de l’outil de travail.»

En attendant, c’est la trêve. Fin du point presse. Les télés remballent. En quelques minutes, les métallos ont déserté le local. «Je veillerai à ce qu’il n’y ait personne cet après-midi, ils ont besoin de se reposer, d’être en famille», lâche Jacques, un œil sur ses camarades. Les dix-huit mois de lutte, les nuits de camping sous les fenêtres de Bercy, ont laissé des traces. La tête rentrée dans les épaules pour se protéger de la neige, Luis confie y avoir «laissé des plumes» : plusieurs kilos et sa copine. Il soupire. «Des fois, on se lève à 5 heures et on ne se couche pas la nuit suivante, parce qu’il faut être là, il faut continuer.» Il a écouté Hollande. «Mais avec ce Premier ministre-là, je n’y crois pas du tout. S’il saute, peut-être…»

A Hayange, commune voisine de Florange où s’étend une partie du site sidérurgique, dans un des rares restaurants encore ouverts, Julien, militant CFDT, s’inquiète au-dessus de son plat de tagliatelles. «Les troupes s’essoufflent. Si on enlève les deux retraités et les quatre permanents, ils étaient combien ce matin ?» En face de lui, Davy, tatoueur, estime que «le gouvernement doit arrêter de faire espérer les salariés pour rien». Julien le coupe : «C’est des promesses, mais elles restent. On peut se les repasser sur YouTube.» Pour lui, les «engagements de Mittal sont un plan social déguisé». «Licencier coûterait à Mittal plus cher que de reclasser. Sur les 629 concernés, la moitié sont des anciens, proches de la retraite. Il préfère leur faire faire deux ans de peinture ou de ménage sur le site plutôt que de leur signer un chèque.»

Quand on leur parle d’Ulcos, les deux hommes lèvent les yeux au ciel. «Cet été, notre dossier était en dernière place. Subitement, il est passé premier pour que, finalement, du jour au lendemain, la candidature soit retirée.» «A mon avis, c’est une sanction. Mittal a fait marche arrière pour punir les sidérurgistes qui ne se laissent pas faire», pense Estelle, l’hôtesse d’accueil de l’office du tourisme. Derrière son guichet, elle voit de plus en plus de Parisiens défiler. «Ils veulent voir les deux derniers hauts fourneaux, se rendre compte par eux-mêmes.» Le tourisme de crise.

Les habitants de la vallée de la Fensch, eux, ont bien du mal à suivre. Outre Ulcos, il était question de nationalisation, et puis non ; d’un repreneur, et puis non. «Je ne regarde plus les infos, je suis fatigué d’entendre tout et son contraire entre le matin et l’après-midi», lance le patron du PMU, Joseph. L’endroit est bondé. Devant son café, Robert, contremaître chez ArcelorMittal à la retraite, a participé à la dernière «remise à neuf» des hauts fourneaux : «Avec ces travaux, ça leur donnait encore trente ans. Ils sont loin d’être foutus ! La seule solution, c’était la nationalisation. Le gouvernement ne veut pas sortir 1 milliard d’euros, alors on fermera. Pourtant, la sidérurgie vit déjà avec des subventions, avec notre argent pour payer le chômage partiel !»



Neige. Autour du comptoir, que des anciens, qui disent avoir«le fer et le charbon en [eux]». Mi-philosophe mi-fataliste, l’un d’eux lance à l’assemblée qui acquiesce que «le train à vapeur a existé, il n’existe plus et on vit encore. Rouvrez les mines demain, personne ne voudra aller y travailler». Robert, métallo retraité, se désole «du chacun pour soi grandissant». «Les jeunes vivent avec le RSA, un loyer à moitié prix, l’aide alimentaire… Ils ont leurs problèmes, ils ne se sentent pas concernés. Les vieux, c’est pareil, je les vois une fois par an, au repas de la ville. Ils parlent de maladies, d’argent et parfois de vacances.» Place de l’hôtel de ville, une petite mamie fend la neige, son béret vissé jusqu’aux oreilles. C’est Marie, 80 ans, ancienne secrétaire «chez les sidérurgistes». Ce qui a changé ? «Les gens». Et de lever sa canne en direction de la rue principale, désespérément vide. Avant, «on l’appelait les Champs-Elysées, ils passaient le matin, l’après-midi, et même sur les deux trottoirs !»

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