samedi 5 mai 2012

ArcelorMittal, espoirs et obstacles d'un syndicalisme sans frontières ...

Le Monde Diplomatique

Tristan Coloma 1 May 2012

Quand il a repris Arcelor, en 2006, M. Lakshmi Mittal a été accueilli en sauveur. « On voulait tous y croire, confie M. Geoffrey Schenk, délégué de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB) à Chertal. Des gens portaient des autocollants montrant un petit éléphant {symbole de I'Inde} avec la photo de Mittal, parce qu'on revenait de la mort. Arcelor nous avait tués. » Pour garder leurs usines ouvertes, les ouvriers européens ont tout accepté en matière de flexibilité, de transferts et de gel des salaires. Cela n'aura pas suffi (1).

ArcelorMittal a stoppé pour une durée indéterminée un four à arc électrique et deux laminoirs au Luxembourg, ainsi qu'un four à arc électrique en Espagne. En République tchèque, l'intention est de réduire les effectifs d'environ 10 %, soit environ six cents employés, alors qu'en 2009 mille deux cents personnes avaient déjà été licenciées. Le groupe a temporairement arrêté un laminoir et deux hauts-­fourneaux en Pologne, et diminué son activité en Allemagne et en France.

Le président de la République, M. Nicolas Sarkozy, avait pourtant déclaré lors d'une visite à Gandrange, le 4 février 2008 : « Je n'accepterai jamais que l'on dise : les usines, c'est fini; l'industrie, c'est fini ; le plein-emploi, c'est fini. » Il avait ajouté que, si une solution crédible existait pour Gandrange, « l'Etat [préférerait] investir pour moderniser le site plutôt que de payer de l'argent pour accompagner des gens soit en préretraite, soit au chômage ».

Au siège social du groupe, rue de la Liberté au Luxembourg, les arguments avancés pour justifier les fermetures sont invariablement les mêmes : ralentissement de la demande - de 25 % plus faible qu'avant la crise de 2008, d’après la direction -, récession potentielle en Europe, sites non compétitifs, surcapacités de production, restructurations nécessaires pour faire face à la compétition mondiale, spécialisation des unités de production pour pérenniser l'emploi...

Malgré ces efforts pour plaire au marché, la sanction ne s'est pas fait attendre. A Wall Street, avec la crise, le cours de l'action du fabricant d'acier est passé de 103 dollars le 6 juin 2008 à 19,88 dollars le 17 janvier 2012. L'objectif prioritaire d'ArcelorMittal semble être de séduire les analystes boursiers en affichant des ambitions de géant mondial. A l'image de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, II n'hésite pas à gagner des parts de marché par des opérations de croissance externe, au détriment de la croissance interne : si l'entreprise est endettée à hauteur de 25 milliards de dollars au deuxième trimestre 2011, le groupe a procédé à plus de vingt opérations de rachat ces cinq dernières années. La formule de l'ancien chancelier allemand Helmut Schmidt selon laquelle « les profits d'aujourd'hui font les investissements de demain et les emplois d'après-demain » s'est muée en : « Les profits d'aujourd'hui font les actionnaires de demain et les chômeurs d'après-demain. »

Face aux locaux du Deutscher Gewerkschaftsbund (DGB), la confédération syndicale allemande, M. Michael Bach confie : « Lors des discussions entre syndicats européens, nous nous sommes rendu compte qu'ArcelorMittal touchait beaucoup de subventions des Etats. » D'après les analyses réalisées en 2009 et 2010 par le service d'études du Parti des travailleurs de Belgique, la filière belge d'ArcelorMittal n'a pratiquement pas déboursé un sou d'impôt sur ses profits. Sur un bénéfice de 35 millions d'euros (2), la filiale qui contrôle la phase à chaud de Liège n'a payé que 936 euros d'impôts, contre 496 euros en 2009. Des cadeaux fiscaux toujours justifiés par les créations d'emplois promises... Même si les engagements pris sont sujets à caution. « ArcelorMittal argue d'une clause sur le retournement significatif du marche pour rompre ses engagements pris en 2008 avec le gouvernement wallon sur une modernisation de l’outil et des investissements dans la filière », s'insurge M. Jean-Claude Marcourt, le vice-président du gouvernement wallon et ministre de l'économie.

M. Bart Samyn, secrétaire général de la Fédération européenne de la métallurgie (FEM), qui regroupe soixante-quinze syndicats de trente-six pays, ne peut que dénoncer ce type de procédé : « ArcelorMittal se comporte comme une banque d'investissement plutôt que comme un industriel. » Il conspue « l'obsession myope d'ArcelorMittal pour le profit, qui finira par rendre obsolètes les emplois européens de l'acier et, par conséquent, par éliminer l'industrie européenne ».

A en croire les syndicats, l'entreprise semble donc décidée à arrêter sa production européenne continentale en réduisant ses coûts salariaux pour amortir l'impact de son expansion internationale par acquisitions, souvent à la limite des pratiques visées par les politiques antitrusts : en 2007, ArcelorMittal a été obligé de vendre son usine de Sparrows Point, aux Etats-Unis, pour des raisons d'abus de position dominante, et des rumeurs courent sur une possible absorption de son concurrent US Steel, qui lui conférerait 40 % du marche de l'aluminium américain.

(1) Gresea Echos, n° 69, Bruxelles, janvier-février-mars 2012.

(2) Le groupe a totalisé 238 milliards d'euros de bénéfice net en 2010.

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